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Treujenn Gaol

La clarinette dans les musiques militaires et l'essor du mouvement orphéonique

Rédigé par Yvonig Publié dans #Treujenn gaol

La période révolutionnaire voit se créer, puis s'institutionnaliser, une nouvelle formation de musique militaire, où la clarinette prend place. Vers 1795, cet ensemble comprend une flûte, six clarinettes, deux bassons, deux cors, une trompette, deux ou trois trombones, un ou deux serpents, la batterie et le chapeau chinois, soit de vingt deux à vingt quatre hommes. Chaque ville de garnison possède bientôt sa musique : Morlaix, Guingamp, Saint Brieuc, Dinan...
 
Sous la Restauration naît un mouvement musical appelé l’ « Orphéon », au départ exclusivement choral, mais qui s'instrumentalise rapidement, s'inspirant en cela des formations de type militaire. Il connaît, à partir de 1850, une incroyable expansion en France: dans bien des villes et des bourgs, des "musiques, lyres, fanfares, harmonies, cliques" et autres "sociétés philharmoniques" se créent. Pour répondre aux besoins de ces formations, s'ouvrent des magasins de musique qui diffusent tous les nouveaux instruments : à Rennes, en 1830, s'installe la maison Bonnel; à Saint Brieuc, en 1844, la maison Gaudu, baptisée "Au ménestrel breton"...
 
Photo : Harmonie d'Hirson (clairons, clarinettes, bugles, tambour, trompettes (?), saxhorn (source : http://jeanluc.matte.free.fr/)
 
En Bretagne comme ailleurs, la bourgeoisie citadine apprécie particulièrement ce genre de musique, qui va connaître un certain succès sur la frange côtière des Côtes d'Armor, ainsi qu 1 en Ille et Vilaine à partir de 1860. Toutefois, l'extension de ces sociétés musicales reste faible : en 1867, le Morbihan, le Finistère et la Loire Atlantique n'en possèdent même pas dix chacun, alors que le Pas de Calais en compte, à la même époque, plus de deux cents! Le mouvement orphéonique n'a pu exercer en Bretagne la même influence que dans les régions urbanisées et industrialisées : né dans le milieu ouvrier parisien, il privilégie une pratique musicale bénévole, collective, urbaine, basée sur l'interprétation de notations écrites et une certaine discipline... toutes notions encore étrangères à la société paysanne bretonne et à ses sonneurs.
 
Voici le récit de son implantation à Morlaix dans les années 1830 1840, relaté par un journaliste anonyme de la Feuille d'annonce de Morlaix: "La musique de la garde nationale, reconstituée ou plutôt créée en 1830, se forma d'abord d'hommes appartenant à des familles aisées de Morlaix et de quelques employés de différentes administrations [ ... ]. De jeunes ouvriers demandèrent à entrer dans cette musique; ils passèrent au scrutin et furent reçus avec cordialité par leurs aînés. Les musiciens se sont imposés depuis longtemps une petite rétribution mensuelle pour subvenir
à différentes dépenses; la ville elle même a accordé une subvention à la musique, seul corps organisé existant aujourd'hui de la milice citoyenne. D'autres jeunes gens de la classe ouvrière désirent peut être bien encore y être admis, mais les frais d'équipement, et plus encore l'impossibilité pour plusieurs d'acheter des instruments et de payer des leçons les font se tenir à l'écart [ ... ] Nous croyons donc qu'un des meilleurs moyens de tenir la musique au complet serait d'établir un cours journalier et gratuit de musique vocale à l'école communale, pour les enfants qui y reçoivent leur instruction, et un autre pour les ouvriers dans une des salles de l'Hôtel de Ville. Ces leçons au raient lieu pour les ouvriers trois ou quatre fois la semaine : on y joindrait un cours particulier d'instruments [ ... ] Morlaix ne ferait en cela que suivre l'exemple de Nantes, qui se félicite tous les jours d'avoir fondé un Conservatoire, et de Dinan qui, plus modeste, ouvre en ce moment une école gratuite de musique."
Très vite les grandes fêtes populaires citadines, civiles ou religieuses, intègrent ces ensembles, qui assurent les parades et les défilés, mènent les bals et se produisent dans les "kiosques à musique". De même, le port de Trébeurden, pour animer en 1867 sa toute première "régate ou joute nautique", fait appel à la "musique de Lannion'.
 
Contrairement à d'autres régions françaises, où ils deviennent la seule forme de musique populaire citadine, les orphéons ne parviennent pas en Bretagne à supplanter la musique ménétrière. De ce fait, le public assiste à un curieux mélange des genres, comme en 1868 lors des célèbres courses de Saint Brieuc : "Le hautbois et le traditionnel biniou préludèrent par quelques airs bretons et bientôt après, la chaîne se déroula, en bondissant, dans l'enceinte. La dérobée suivit. Ce fut ensuite au tour de l'orchestre, assez bien conditionné du reste. Il annonça un quadrille: chacun se pourvut bientôt d'une danseuse et d'un vis à vis et se mit en devoir d'exécuter les figures."
 
Le répertoire de ces ensembles est très divers : marches militaires, "pas redoublés", fantaisies sur des airs d'opéra, danses en vogue dans les villes (quadrilles, puis à partir des années 1850 1860 polkas, scottisches, mazurkas) qu'ils contribuent à faire connaître dans les provinces. Ils jouent aussi des danses plus locales, comme la célèbre "dérobée". L'adjonction des cuivres de la famille des saxhorns (inventés par Adolphe Sax, concepteur, en 1870 du "saxophone") transforme ces sociétés musicales en véritables orchestres symphoniques. La clarinette y joue un rôle prépondérant de par sa puissance et l'étendue de son registre; elle y occupe la place de soliste tenue par le violon dans l'orchestre symphonique.
 

Source : Collectif, "Musique Bretonne, Histoire des sonneurs de tradition " ed. Le Chasse-Marée/Armen, Douarnenez 1996.

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